L’interview de (LA)HORDE
Crédits Photo : Blandine Soulage pour (LA)HORDE
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(LA)HORDE est un collectif d’artistes français composé de Marine Brutti, Jonathan Debrouwer, Arthur Harel. Depuis 2019, le collectif a pris la direction du Ballet National de Marseille.
Le trio a choisi le corps en mouvement comme espace créatif, sociologique, disruptif et polymorphe. À travers leurs créations, ils ne cessent de questionner le monde, son actualité et ses évolutions.
Cette conversation a été enregistrée au Ballet National de Marseille en juillet 2023 avec Marine Brutti et Jonathan Debrouwer.
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Est-ce une nécessité de vous présenter comme un collectif ? Qu’est-ce qu’il favorise ?
Au départ, ce n’était pas une volonté idéologique mais plutôt un constat. Nous travaillons ensemble depuis des années et il devenait important pour nous de créer une maison de partage, un seul corps créatif. Ainsi, notre collectif a été fondé à posteriori de nos premiers travaux.
En étant trois, nous nous nourrissons beaucoup les uns des autres. Nous sommes également critiques sur nos travaux ce qui nous permet d’aller beaucoup plus loin, dans des zones où l’on ne serait jamais allés de manière individuelle. Ce trio nous offre une très grande liberté d’écriture. Notre objectif est qu’aucune de nos pièces ne se ressemble afin de garder une curiosité constante.
Avec (LA)HORDE, le but est de répondre au monde. Nous faisons partie des artistes qui pensent que la création est une grande conversation collective. Ces échanges avec les autres artistes nous permettent de nous demander continuellement « Comment est-ce que nous pouvons répondre à cette proposition ?». Notre réponse est donnée à un moment T, elle n’aurait pas été la même un an plus tôt.
Chacun d’entre nous a sa propre expérience du monde. Il y a des choses que nous aimons faire chacun de nos côtés, et qui nous mettent en contact avec différents environnements. Par la suite, il y a toujours une mise en commun de ce que nous avons glané. Nous avons besoin de nous aligner sur les idées récoltées, sur ce qui a marqué nos explorations. Si une proposition est visible par le public, elle a forcément été passée en revue par nos trois paires d’yeux.
« Nous défendons une danse plurielle et sous différentes formes. »
Depuis 2019, quel projet vous anime à la tête du Ballet National de Marseille ?
Le Ballet National de Marseille est une compagnie permanente. Il y a très peu de lieux en France qui ont accès à ces outils et qui ont la chance d’avoir un grand groupe d’artistes pour créer. Avec (LA)HORDE au Ballet National de Marseille, nous essayons d’ouvrir ce lieu et de donner des clés à des artistes confirmés tout comme à des artistes qui n’ont pas la possibilité d’écrire pour de grands groupes.
Depuis notre arrivée, il est question de poser des idées : nous réfléchissons sur la manière dont les outils peuvent évoluer mais également sur la compréhension de la danse comme art pluriel. En effet, il n’y a plus la danse classique et la danse contemporaine : il y a des danses.
Quelle vision de la danse avez-vous envie de défendre ?
Nous, on fait des performances, des films tout comme des pièces chorégraphiques. Notre sujet d’étude est avant tout le mouvement sous toutes ses formes. Le corps n’a jamais été aussi puissant. Le mouvement est un langage universel avec lequel nous dépassons les frontières. Avec internet et les smartphones, chacun possède un outil pour se mettre en scène. Cela a considérablement changé le rapport à soi, à la création, au mouvement. Nous sommes dans le moment du « tous artistes ». Tout le monde peut créer. L’artiste n’est plus celui qui s’émancipe du monde et de son rapport aux classes sociales Notre génération l’a très bien compris. Il n’y a plus ce sentiment d’être choisi pour raconter le monde. Très tôt, cela nous a donné une leçon d’humilité. Être un collectif nous permet de ne plus porter les choses en notre nom ou en notre personne. Notre envie profonde est de faire partie d’un mouvement qui puisse amener notre pensée encore plus loin.
« lE monde serait vraiment un monde meilleur si tout le monde était concentré sur sa créativité. »
Portez-vous l’idée de rendre la danse accessible au plus grand nombre ?
Nous avons un rapport très décomplexé au monde et à la création. Notre point de départ était le corps pour ce qu’il avait à raconter. Ce n’était pas forcément la danse. Nous nous intéressons bien plus à l’émotion qui met le corps en mouvement plutôt qu’à la technique.
Nous travaillons sur le rapport critique de ce qui constitue le beau geste comme le mauvais. Il n’y a pas une manière de se mouvoir meilleure qu’une autre.
Avant tout, nous voulons nous émanciper de cette idée et nous faisons confiance à ce qui nous émeut. Cela dépasse l’idée de danse. La finalité est notre attention sur ce qui met les gens en mouvement, les pulsions qui les poussent à raconter quelque chose par le corps.
« Nous sommes plutôt sur un aspect sociologique. C’est beaucoup plus que de la danse selon nous. »
Et qu’est-ce que permet le plateau ?
Le plateau n’est pas au cœur de notre démarche. Aujourd’hui, nous investissons autant l’extérieur, que les musées, les écrans, et les plateaux. Ce dernier n’est pas central, c’est l’une des formes utilisées. Le cadre de la scène peut s’apparenter au cadre de l’ordinateur, c’est une fenêtre. Ce qui change est seulement la position du spectateur : soit il est assis, soit il est en déambulation, soit il décide de regarder sur une télévision ou sur un smartphone. Avec les nouvelles manières de regarder du contenu, nous ne nous arrêtons pas à un cadre de représentation, et cela nous conduit à explorer d’autres façons de présenter une œuvre.
Les lieux de spectacle vivant restent cependant des lieux d’exception parce qu’ils offrent la possibilité de partager un espace. Dans un théâtre, le public est en communion, les spectateurs regardent ensemble dans la même direction. Ces espaces nous invitent à ressentir les émotions de chacun. Et il est vrai que nous adorons connaître les réactions du public, qu’elles soient positives ou négatives, elles sont toutes valides. Être sur un plateau, c’est comme appartenir à une espèce de bibliothèque d’objets vivants
Alors, même si l’on fait des films, des expositions, le moment du spectacle reste toujours un instant d’une fragilité très particulière. C’est un espace à protéger autrement que le reste.
Pouvez-vous nous parler de votre nouvelle création « Age of Content » ?
Tout d’abord, toutes nos créations précédentes se sont faites autour de la rencontre. Ici, nous sommes avec des danseurs avec qui nous avons déjà traversé l’expérience de faire œuvre. C’est peut être la première fois que nous avons l’occasion de comprendre comment nous pensons le mouvement, et de situer notre écriture chorégraphique.
« Age of Content « signifie l’ère du contenu.
Dans Age of Content, le sujet abordé est cette idée de contenu à la portée de tous, dans une réalité où les frontières entre le monde virtuel et réel se floutent.
Nous nous intéressons également à la perception du mouvement comme écho sociétal : l’évolution du mouvement et sa représentation. Les nouvelles façons de représenter le mouvement grâce aux dernières technologies sont au cœur de notre réflexion. Par exemple, la marche dans un jeu vidéo d’il y a dix ans ou celle d’aujourd’hui, n’a pas du tout la même représentation. Et cela en dit beaucoup sur la température d’une société.
Age of Content mêle les territoires du cinéma, des cascades, des comédies musicales, ou encore de TikTok.
Les comédies musicales, souvent regardées avec beaucoup de préjugés, transmettent des idées qui n’auraient jamais pu être dites dans un média plus traditionnel. Et parce qu’elles sont dîtes en chantant, que les images sont colorées, que les bagarres sont dansées, nous pouvons faire un état des lieux critique du monde et rendre les choses plus acceptables.
Sur les réseaux sociaux, c’est important de se questionner sur la manière dont le mouvement prend refuge et se connecte au monde. Par exemple, nous avons rencontré des adolescents lorsque nous étions en résidence à Grenoble, qui nous disaient : « Mais en fait, tout le monde critique beaucoup TikTok. Mais moi, qui ai 15 ans, au moment où TikTok est arrivé, pendant la Covid, nous n’avions aucune autre manière de se retrouver et nous ne pouvions exister qu’à travers cela. » Ce réseau permet l’écho du mouvement d’une personne sans frontière géographique.
Pour créer cette pièce, nous avons beaucoup de chance d’être au Ballet National de Marseille et d’instaurer un espace de dialogue avec nos 16 danseurs qui représentent 16 nationalités, donc 16 façons différentes de voir le monde.
(LA)HORDE s’interroge sur les chocs esthétiques, autant dans le registre du bonheur que dans la noirceur et donc l’angoisse. Selon nous, ces deux opposés d’un même spectre de sensationnalisme, de spectaculaire créent et véhiculent véritablement une émotion.
Extraits du podcast EP. 177. Propos recueillis par Dorothée de Cabissole
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Théa Breso
Théa danse depuis le plus jeune âge. Désormais danseuse pluri-disciplinaire, elle rêve d’une vie de danse et de voyage.
Depuis peu, elle enrichit sa pratique en posant des mots sur son art.
Les studios et les salles de spectacle sont un peu comme la continuité de son appartement.
Théa est stagiaire chez Tous Danseurs.
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