L’interview de Bruno Bouché
directeur artistique
du Ballet de l’Opéra du Rhin

Crédits photo : Agathe Poupeney pour les Ailes du Désir de Bruno Bouché

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Bruno Bouché, chorégraphe et directeur artistique du Ballet de l’Opéra National du Rhin depuis 2017, œuvre pour la transformation de son institution qu’il appelle le Ballet européen au XXIe siècle. Il soutient également les nouveaux talents chorégraphiques. Sa dernière création « Les Ailes du Désir » nous donne à voir sa version du Ballet d’aujourd’hui.

Bruno, peux-tu commencer par te présenter ?

« Je m’appelle Bruno Bouché, je suis chorégraphe et directeur artistique du Centre chorégraphique National de Mulhouse et du Ballet de l’Opéra National du Rhin.
Je réfléchis au concept de l’artiste qui, parfois, est un peu démuni parce qu’il ne sait faire que sa discipline. Je suis directeur artistique, j’ai dans les mains l’organisation d’une institution (* le CCN / Ballet Opéra du Rhin ndlr). Je ne sais pas faire que danser, même si c’est l’essentiel de ma vie. C’est pour plus de danse que j’ai décidé de commencer à organiser des spectacles et aller dans cette voie».

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« J’ai toujours eu
envie de plus de danse »

Très rapidement, tu as un appétit féroce pour la création. Comment expliques-tu cela ?

« J’ai toujours eu envie de plus de danse. À l’école de danse de l’Opéra de Paris, j’étais bon élève. Je me sentais toujours un peu comme un électron libre. Au départ, cela a commencé par quelque chose d’assez intime : par de l’écriture, par des poèmes, par un journal de bord. Dès que j’ai eu 18 ans et que j’ai eu ce poste à l’Opéra de Paris, j’allais dans tout Paris voir plein de spectacles, dans des cinémas d’art et d’essai, dans des petits théâtres. Voilà comment est venu l’aspect créatif.
Cela passait aussi par les mots. J’ai un rapport très prégnant au langage et aux mots. J’adore la littérature, la philosophie, le théâtre surtout. Je me nourris même plus de cela que de spectacles de danse. Je me suis autorisé assez tard à la chorégraphie. Bien que dans mes carnets de notes, j’avais plein de chorégraphies qui étaient faites. En créant ce groupe « Incidence Chorégraphique », j’organisais un espace pour les autres mais moi, je ne m’autorisais pas à cela. »

Crédits photo : Bruno Bouché par Agathe Poupeney

Par tes créations, comprends-tu mieux ce que tu proposes en tant qu’artiste ?

« Oui, je me découvre. Je découvre aussi au fur et à mesure des chorégraphies que j’ai un langage. Même si je me nourris de beaucoup d’esthétiques qui m’ont traversé, j’ai une manière d’appréhender le corps qui m’est propre. C’est compliqué de mettre des mots sur mon langage. Je peux juste expliquer comment je travaille. Je ne suis pas un chorégraphe qui crée du matériel seul. Bien souvent, je me dis que peut-être un jour il faudrait que je crée une technique comme de grands chorégraphes. Ohad Naharin a créé le Gaga, Martha Graham a créé son école, Forsythe a crée des concepts. J’amène des concepts dans mes créations qui ne sont peut-être pas très expliqués aux artistes. Ma façon de créer est de travailler comme un sculpteur. J’arrive avec des émotions et je construit en direct avec les danseurs. C’est très complexe parce qu’il faut que les interprètes soient ouverts. On est dans un dialogue direct, on cherche ensemble. On travaille le corps comme de la glaise, comme une matière vivante. Je suis très connaisseur de la biologie humaine, je me suis toujours intéressé à l’anatomie depuis très jeune. Si je n’avais pas été danseur, j’aurais aimé être thérapeute, kinésithérapeute ou ostéopathe. J’ai besoin des corps des autres pour créer. Je ne peux pas arriver avec une chorégraphie préétablie, même si parfois, cela m’arrive de dialoguer avec des mouvements que j’amène. »

En 2016, tu es nommé Directeur Artistique du Ballet de l’Opéra national du Rhin.
Lorsque l’on candidate à une telle institution, on arrive avec un projet solide. Est-ce que cela prend du temps ?

« Pour faire le pré-projet, j’ai eu 15 jours. Lorsque je me suis décidé, j’ai du réagir très vite. Le titre générique de ce projet était un Ballet européen au XXIe siècle. Ce projet abordait la question européenne et la question de l’actualité de ses institutions qu’il fallait pour moi transformer en un ballet avec des artistes formés et entraînés au langage académique.
La question que je posais était complexe. Je souhaitais un langage avec une tradition, un ballet avec une histoire très forte, pleine de dogmes, de codes à critiquer et déconstruire. J’arrivais avec ce projet-là en me disant c’est parce que je viens de ce monde que je peux le transformer. C’est le pari que je fais avec ces artistes. Transformons ce que nous connaissons. Nous ne sommes pas là pour faire table rase. Nous sommes là pour transformer, pour rendre vivant ce langage académique et pour voir si, encore aujourd’hui, il peut transmettre des émotions et adresser des problématiques qui parlent au XXIe siècle. Un ballet en prise avec son temps et ses problématiques. Je pense que l’art questionne aussi nos vies dans leur réalité. La tradition du ballet et toute son histoire peut paraître encore élitiste et très traditionaliste. Je me bats contre cela parce que j’aime avant tout la danse classique mais je voudrais la débarrasser de tout son classicisme et de tous ses dogmes. Je souhaite qu’on la rende profondément vivante, intelligente et pleine de pensées pour le vivant et pour aujourd’hui. »

« Le ballet européen au XXIe siècle est un ballet en prise avec son temps »

Qu’est-ce qu’une institution comme l’Opéra National du Rhin permet à la danse ?

« C’est clair que la politique culturelle française, même si elle se délite, reste toujours vive. On a beaucoup d’acteurs et on est très soutenu. Dans la crise que l’on a traversée, même si l’on a dû fermer les théâtres, il y a eu beaucoup de soutien. C’est très différent d’un pays à l’autre. Quand on regarde en Allemagne ou dans les pays de l’Est, il y a une vraie culture du théâtre et de l’opéra, mais moins d’émergence et d’avant-gardisme. Le système de production française n’est pas parfait mais permet à chaque étape d’une carrière de créateur de pouvoir être soutenu, aussi bien dans l’émergence que d’avoir besoin d’un ballet national pour pouvoir développer son univers créatif. En revanche, on est toujours dans cette inégalité de soutien par rapport aux disciplines. Pourquoi la danse a moins de moyens que l’opéra, que le théâtre ? Parce que c’est historique. Aujourd’hui, notre génération est là pour déconstruire. On est dans des systèmes de domination, il faut le dire. Il faut changer les choses pour la question d’égalité. »

En 2021, tu chorégraphies Les Ailes du Désir. Depuis combien de temps portais-tu ce projet ?

« C’est plutôt lui qui me portait. Pouvoir réaliser ce rêve des Ailes du désir est complètement dingue. En faire une adaptation en ballet a nécessité de nombreuses réflexions. Il fallait se saisir d’une œuvre qui n’avait pas été adaptée chorégraphiquement, bâtir un nouveau scénario. La question européenne était également centrale à ce film, et à son histoire (ndlr : ce ballet est inspiré du film Der Himmel über Berlin de Wim Wenders).
À Biarritz à l’avant-première, toutes les conditions techniques n’étaient pas réunies pour pouvoir donner le meilleur de cette œuvre. Je sais ce que c’est quand la pièce est totalement respectée au niveau des lumières et de la scénographie parce que je travaille sur des espaces poétiques, du sensible. On est dans des soucis d’économie. C’est pour cela que je me bats aussi pour la danse. Lorsque l’on dit qu’il faut deux jours de montage, on nous dit que c’est énorme. Aujourd’hui, les compagnies indépendantes de danse, lorsqu’il y a plus de trois personnes au plateau, on va vous dire que vous avez des projets trop ambitieux. En revanche, on ne va jamais dire cela à une compagnie de théâtre ou à un opéra qui va prendre quatre ou cinq jours de montage sur un plateau. Quand je suis face à cela sur mon propre travail, c’est assez douloureux, même si celui-ci a connu un très beau succès. Je suis sur une exigence de rendu et je me rends d’autant plus compte de l’enjeu d’avoir porté ce film de Wim Wenders sur scène. »

Crédits photo : Bruno Bouché par Agathe Poupeney

Qu’est-ce que tu aimerais avec cette pièce ?

« J’aimerais beaucoup qu’elle puisse vivre. Le rêve serait de la donner sur une scène berlinoise. J’aimerais qu’elle ait un sacré bout de vie parce qu’elle a beaucoup de choses à dire. J’ai envie qu’elle voyage, qu’elle aille vers des publics. Je pense qu’elle peut donner une autre image de la danse et du ballet. C’est pour cela qu’elle me tient tant à cœur et que je veux la défendre dans ce qu’elle doit représenter, malgré les contraintes techniques. Elle répond à cette définition d’un ballet d’aujourd’hui. »

Extraits du podcast EP. 85. Propos recueillis par Dorothée de Cabissole
A Ecouter

Antony and the Johnsons, un artiste qui le bouleverse.

A voir absolument

– Les Ailes du Désir de Bruno Bouché, inspirée du film de Der Himmel Über Berlin de Wim Wenders
– Sa première pièce, le duo Bless « Ainsi soit-il »
– Toutes les pièces de Pina Bausch

A LiRE

D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère.
Albert Camus.

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Dorothée de CabisSole
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