L’interview de
GIL ISOART
professeur à l’Opéra de Paris et au Conservatoire de danse de Paris
Crédits photo : James Bort (Dorothée Gilbert et Gil Isoart)
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Gil Isoart est danseur, chorégraphe et professeur à l’Opéra de Paris et au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris.
Avec Gil, c’est toute une vie vibrante de danse et un morceau de l’histoire de la danse de l’Opéra de Paris que l’on découvre.
Sa danse, elle s’est tissée au gré des rencontres avec des figures illustres de cette institution.
Aujourd’hui, Gil aide les nouvelles générations de danseurs à se révéler dans le bonheur de la danse et la compréhension du mouvement.
Pourquoi la danse ?
« Dès la petite enfance, mon attirance pour la danse s’est manifestée. A la suite d’exercices d’improvisation, mon professeur de maternelle a convoqué immédiatement mes parents pour leur dire “ Il y a quelque chose. Il a un don pour la danse”. L’entourage amical de mes parents a fini par les convaincre définitivement en clamant “Il faut absolument que ton fils fasse de la danse”. J’ai alors passé l’audition d’entrée au Conservatoire de Nice sous la direction de Rosella Hightower. Encadré de Janine Monin, mais aussi de Bernadette Vissyrias, mon cursus a rapidement pris une direction semi-professionnelle.
C’est la musique qui m’a emmené à la danse. Au départ, je voulais être pianiste. Je ne voulais pas être danseur. Quand j’’écoutais de la musique, je me soulais de musique. Je me soulais littéralement jusqu’à ce que je tombe par terre, presque d’évanouissement. Je cherchais peut-être un peu la transe. Le goût, la recherche de l’esthétisme, je les dois à ma maman.
La danse classique est devenue une évidence. Le premier danseur que j’ai vu en scène est Vladimir Vassiliev, impressionnant et magnifique dans Le Corsaire et La Belle au Bois Dormant. »
« La danse est un art immédiat. Pour la définir, je dirais musicalité, esthétisme, émotion, harmonie et pureté du geste, du souffle et enfin, symbiose avec le public comme la musique. Et au contraire, je rejette totalement les termes comme harcèlement, douleur ou encore “C’est un sport”. Ce n’est pas péjoratif, mais dans la danse, on apporte une émotion à ce que l’on fait.
Personnellement, j’aime cette sensation du geste : c’est plus que magique. La danse est une jubilation du geste. Presque une addiction, c’est un mode de vie et un mode de pensée. C’est une façon de voir. C’est un éveil. »
« C’est un goût dans le corps. C’est une jubilation. »
Quelles sont les rencontres marquantes de ta carrière ?
« J’ai eu beaucoup de chance tout au long de mon parcours. J’ai eu des professeurs généreux. Alexandre Kalioujny dit Sacha, Claude Bessy ou encore Gilbert Meyer, ont été des figures très importantes au niveau pédagogique. Et puis, Rudolf Noureev évidemment.
Nous sommes un tissage de toutes ces influences. Il y a aussi Patrice Bart, Michael Denard, Noëlla Pontois et Ghislaine Thesmar. Mais ma grande rencontre est celle avec Pierre Lacotte, mon père spirituel. Il m’a offert mes plus grandes opportunités. J’étais un jeune sujet de la compagnie et il m’a donné mon premier rôle d’étoile dans La Sylphide. J’ai aussi été son étoile au ballet de Nancy. Enfin, il m’a donné la possibilité de remonter pour la première fois tout seul La Sylphide à Buenos Aires. »
Qu’est ce qui te passionne dans le rôle de pédagogue ?
« Lorsque j’enseigne une variation, j’essaie de voir comment je l’aurai abordée : il s’agit d’étudier le personnage, la musicalité et les difficultés techniques. Mais tout dépend du danseur avec lequel je travaille.
J’aime dire que je suis un accompagnateur, un éveilleur de talents et un révélateur de pépites mais également un relais de mes maîtres, le relais d’un savoir.
Des générations ont abordé le mouvement pour que le geste soit juste.
Aujourd’hui, je suis une courroie qui transmet tous ces savoirs corporels, esthétiques, théâtraux et musicaux. La danse ne cesse d’évoluer. J’essaie d’être ce trait d’union entre le passé et le présent.
De plus, travailler dans deux maisons différentes m’apporte une complémentarité. Je travaille avec des professionnels de l’Opéra tout comme avec de jeunes danseurs pré-professionnels. Le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris est une école très intéressante car il y a des profils d’artistes différents. Alors, je m’adapte, et je les accompagne pendant leur cursus technique tout comme chorégraphique. »
Que penses-tu de l’évolution de la danse ?
« En ce moment, nous sommes beaucoup sur le côté sportif. Avec l’apport du contemporain, le corps change et devient plus musculaire, parfois plus massif. Un corps qui n’aura travaillé que du classique restera dans une forme classique. Par exemple, Ludmila Pagliero, Dorothée Gilbert et d’autres danseuses magnifiques, sont des danseuses dont leurs corps sont passés par le contemporain et le classique. Ce qui est important, c’est de comprendre et de connaître le contexte historique. C’est de savoir pourquoi les bras sont placés de différentes manières en danse baroque, classique ou contemporaine mais aussi de comprendre l’organisation corporelle de chaque chorégraphe. Par exemple, chez Forsythe et Balanchine, le positionnement du corps n’est pas pensé de la même façon.
Si le danseur arrive à saisir tout cela, il peut moins se blesser et donc se faire davantage plaisir. »
“ J’essaie donc d’être ce trait d’union entre le passé et le présent.”
Selon toi, quelles sont les qualités d’un bon danseur ?
« En montrant une marche ou un pas à un élève, je sais. C’est une alchimie. Sa façon de me dire son prénom, de me regarder, son rapport au sol, sa manière de marcher, de se positionner, et son désir sont des éléments révélateurs d’un talent en devenir. Si son désir n’est pas profond, on ne peut rien faire. C’est là où il ne faut pas se tromper.
On recherche avant tout celui qui est heureux de danser.«
Qu’est-ce que tu aimerais pour toi aujourd’hui ?
« J’aimerais continuer à être heureux avec la danse. J’aimerais que mes enfants s’épanouissent. J’aimerais que mes élèves soient heureux, que les personnes qui souhaitent travailler avec moi soient heureuses. Je suis très reconnaissant du cheminement de ceux que j’accompagne. Quand ils réussissent, je suis presque plus heureux que je ne l’étais pour ma carrière de danseur. J’ai la sensation de faire quelque chose de bien pour quelqu’un et cela me remplit d’une joie immense.
J’aime bien également chorégraphier de temps en temps. C’est aussi une source de bonheur. J’ai un peu peur car je trouve qu’il y a un manque de chorégraphes dans la danse classique.
C’est aussi pour cela que je suis content d’enseigner parce que ce sont les prochains créateurs. Ce n’est pas uniquement des interprètes.
Je souligne toujours que ce sont les prochains enseignants, les prochains directeurs, les prochains créateurs. C’est important de les prendre au sérieux. Ce sont eux qui créent la danse d’aujourd’hui et de demain.
Par exemple, je viens de créer un pas de deux pour Ludmila Pagliero et Mathieu Ganio : ils sont adorables et travailleurs. C’est un bonheur de créer quelque chose pour eux. On se rend compte à quel point ils ont besoin de nouvelles créations. »
« Concernant l’Opéra, je lui souhaite de garder ses traditions, d’en être fier et de continuer malgré tout ce qui se passe dans le monde actuel, tout en défendant les valeurs d’aujourd’hui. »
Lecture à compléter avec les podcasts 195 – Anthony Despras, 196 – Rick Odums et Anne-Marie Porras – 197
Dorothée de CabisSole
Dorothée est la fondatrice du podcast Tous Danseurs.
Après une première vie professionnelle bien remplie, elle a décidé de mettre son énergie et ses savoir-faire au service de la danse.
Vivre ses rêves et être en mouvement.
Le beau, la culture, les arts vivants sont essentiels. Nous avons tous un rôle à jouer.
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